Lors d’une conférence au Collège de France (Il faut défendre la société, 21 janvier 1976) Michel Foucault analyse la relation entre la guerre et la politique:
« Est-ce que la guerre peut effectivement valoir comme analyse des rapports de pouvoir et comme matrice des techniques de domination ? […] Je prendrai ceci simplement comme un [cas] extrême, dans la mesure où la guerre peut passer comme le point de tension maximum, la nudité même des rapports de force. […] Sous la paix, l’ordre, la richesse, l’autorité, sous l’ordre calme des subordinations, sous l’État, sous les appareils de l’État, sous les lois, etc., faut-il entendre et redécouvrir une sorte de guerre primitive et permanente?
[…] Avec la croissance, le développement des États, tout au long du Moyen Âge et au seuil de l’époque moderne, on a vu les pratiques et les institutions de guerre subir une évolution très marquée, très visible, que l’on peut caractériser ainsi : les pratiques et les institutions de guerre se sont d’abord concentrées de plus en plus entre les mains d’un pouvoir central; petit à petit, il est advenu que, de fait et de droit, seuls les pouvoirs étatiques pouvaient engager les guerres et manipuler les instruments de la guerre : étatisation, par conséquent, de la guerre. Du même coup, par le fait de cette étatisation, s’est trouvé effacé du corps social, du rapport d’homme à homme, de groupe à groupe, ce qu’on pourrait appeler la guerre quotidienne, ce qu’on appelait effectivement la “guerre privée” ».
L’argument est similaire à celle de Carl Schmitt: l’état naît de la guerre civile et l’ordre de l’État conserve une trace de cette origine. La loi qui est en vigueur dans l’état est celui de ceux qui ont gagné la guerre.
La centralisation du pouvoir en résultant du développement de l’Etat, a conduit le pouvoir à étatiser le conflit quotidien, la « guerre privée ».
En ce qui concerne le mécanisme disciplinaire établit une distinction entre la catégorie de la souveraineté, « qu’il peut faire mourir et laisser vivre », et un pouvoir de régularisation, « qui consiste, au contraire, à faire vivre et à laisser mourir ».
Il s’agit du biopouvoir, la technologie politique qui vise de prendre en compte la vie, les processus biologiques de l’homme-espèce.
Les tentatives de lynchage du criminel, ainsi que les promesses de « prendre la justice en main » devraient être interprétées comme une régression vers la souveraineté : la présence de conflits est « un catalyseur chimique qui permet de mettre en évidence les relations de pouvoir ».
Les gouvernements démocratiques, en particulier ceux qui sont marqué par des conceptions relativistes du droit, se sont révélés incapables de recourir à leur suprématie dans les rapports de domination.
Le résultat a été une nouvelle décentralisation de la souveraineté en faveur du peuple, qu’il veut pour lui-même le droit (relative) de donner la mort.
On dirait que la seule forme dans laquelle la catégorie de la souveraineté peut se reproduire dans une société démocratique est le lynchage, ou la « privatisation » de la guerre.
Il est inutile de cacher le chaos des passions, l’indignation et le ressentiment dans un appel contre l’intolérance, le racisme et la violence. Le problème est beaucoup plus profond: le pouvoir se mettre en jeux de nouveau et ceux qui détiennent le pouvoir provoquent les lynchages inconsciemment.
Chaque autre explication (la violence innée, la lutte des classes) ne sert qu’à réconforter les indolents.