La langue est fasciste: la fameuse déclaration de Roland Barthes, qui toujours fait marrer les réactionnaires (et pas seulement eux) à certains égards pourrait être acceptable. L’apprentissage d’un nouveau langage par certains aspects est comme à se soumettre à une forme de dictature. C’est probablement pour ça que un enfant peut apprendre plus d’une langue parfaitement: il est plus prêt à accepter ce que Barthes appelé « fascisme », c’est-à-dire l’autorité de l’assertion, les stéréotypes, les expressions rituelles, les slogans etc.
La quête de la perfection dans l’expression n’est cependant possible que si on se soumet à la tyrannie de la langue. C’est absolument nécessaire de consommer les stéréotypes, des « combles d’artifices », comme des sens innés, des « combles de nature ».
Pour citer un exemple pratique, dans la première traduction italienne de Sade, Fourier, Loyola, la traductrice a transposé l’expression « le jeu de la pierre, de la feuille et des ciseaux » comme « il gioco del sasso, forbici e foglio » [le jeu de la pierre, des ciseaux et du feuillet], quand tout le monde sait que le troisième mouvement de la mourre chinoise en italien est « carta », pas « foglio ». Ce curieux « incident » est la preuve que la susceptibilité à l’erreur est plus prononcée chez les adultes au motif qu’ils se sentent moins « obligés de dire » que l’enfant, qui est conditionnée par la dimension sociale de la langue. Les enfants (ou « les collaborateurs »), ils croient fermement à le « parallélisme entre le réel et le langage ».
Pour prendre un autre exemple, en Italie est entré dans le langage quotidien l’expression « turlupinare » [turlupiner], qui tire son origine du surnom d’un comédien français du XVIIIe siècle, qui avait à son tour été inspiré par un personnage-type de la comédie italienne. C’est probablement pour cette raison que l’expression est utilisée de manière obsessionnelle dans le discours politique, pour indiquer la parfaite correspondance entre la volonté de l’homme politique de tromper le peuple et la volonté du peuple de se laisser tromper (vulgus vult decipi, ergo decipiatur). N’est-ce pas incroyable que une juxtaposition insensée de lettres à abouti à tout un microcosme de sens? Chaque littérature ne peut que répéter cette dynamique sublime, et moins l’écrivain est consciente de cette dynamique plus il se révèle être un parasite de la langue.
Barthes a raison de dire que la langue « peut survivre à [le] message et faire entendre en lui […] autre chose que ce qu’il dit ». Je crois qu’il n’y a eu aucun moyen d’échapper à cette « terrible résonance »; je m’en suis rendu compte lorsque j’ai parlé pour la première fois avec une jeune fille turque: ma faible voix, celle d’un « fils affaibli d’une forte race », enfin a réussi à exprimer des concepts viril, qui dans ma langue maternelle sont toujours atténuées par l’autodérision. Je suppose que la langue turque (comme l’arabe et le persan, à ce que je sache) se prête tout particulièrement à poétiser la virilité, de la même manière que Renan croit que le français « ne sera jamais une langue réactionnaire ». La langue demande la servitude volontaire, mais précisément dans l’optique de Barthes il aurait été plus correct de parler de « stalinisme de la langue », c’est-à-dire une chose « sévère mais juste », accepté comme un mal nécessaire. Pour un intellectuel qui a toujours refusé de parler des « mythologies gauchiste » pour ne pas avantager le droit, il aurait pu être un compromis acceptable.